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La Poubelle
avait trouvé ce qu’il voulait.
Il avançait dans un couloir
souterrain, un couloir aussi noir qu’un puits de mine. Dans sa main gauche, il
tenait une torche électrique. Dans la droite, un revolver, car ce n’était pas
très rassurant par ici. Il avançait à bord d’une voiturette électrique qui
roulait silencieusement dans le large corridor, avec un ronronnement grave à
peine audible.
Derrière le siège du conducteur
se trouvait un grand plateau destiné à recevoir des marchandises. Et sur le
plateau, une ogive nucléaire.
Elle était lourde.
La Poubelle n’avait aucune idée
de son poids, mais il avait été incapable de la faire bouger à la main. C’était
un long cylindre. Froid. En passant la main sur sa surface courbe, il avait eu
du mal à croire qu’un bout de métal aussi froid, aussi mort, puisse dégager
autant de chaleur.
Il avait trouvé l’ogive à quatre
heures du matin. Il était revenu au garage et s’était muni d’un palan à chaîne
qu’il avait ensuite installé au-dessus de l’ogive. Quatre-vingt-dix minutes
plus tard, elle reposait douillettement sur la voiturette électrique, nez en l’air,
nez sur lequel des chiffres étaient peints au pochoir : A161410USAF. Les
pneus pleins de la voiturette s’étaient sensiblement écrasés quand il l’avait
installée.
Il arrivait maintenant au bout du
couloir. Juste devant lui se trouvait le gros monte-charge dont les portes
étaient restées ouvertes. Il aurait été bien assez gros pour emporter la voiturette,
mais naturellement il n’y avait pas d’électricité. La Poubelle était descendu
par l’escalier. Il avait apporté le palan par le même chemin. Mais il ne pesait
pas très lourd, comparé à l’ogive. Soixante-dix kilos, à peu près. Pas beaucoup
plus en tout cas. Pourtant, lui faire descendre les cinq étages par l’escalier
avait été un sacré boulot.
Comment allait-il remonter ces cinq étages avec l’ogive ?
Avec un treuil à moteur, murmura
une voix dans sa tête.
Assis sur son siège, éclairant au
hasard autour de lui, La Poubelle hocha la tête. Oui, naturellement c’était la
solution. Au treuil. Installer un moteur à essence tout en haut et faire monter
l’ogive, étage par étage s’il le fallait. Mais où trouver une chaîne de cent
cinquante mètres ?
Nulle part, probablement. Mais il
pourrait souder ensemble plusieurs chaînes. Est-ce que les soudures tiendraient ?
Difficile à dire. Et, même si elles tenaient, combien de fois l’escalier
changeait-il de sens en montant jusqu’au rez-de-chaussée ?
Il sauta de la voiturette et
caressa la surface lisse de l’ogive mortelle dans l’obscurité silencieuse.
L’amour lui indiquerait le moyen.
Laissant l’ogive sur la
voiturette, il remonta l’escalier pour voir ce qu’il pourrait trouver. Dans une
base comme celle-là, il devait y avoir un peu de tout. Il allait sûrement
mettre la main sur ce qu’il lui fallait.
Il monta deux étages et s’arrêta
pour reprendre son souffle. Et c’est alors qu’il se posa tout à coup une
question : Est-ce que j’ai été exposé aux radiations ? Ils
protégeaient ces machins-là avec des écrans de plomb. Mais dans les films qu’on
voyait à la télé, les hommes qui manipulaient du matériel radioactif portaient
toujours des combinaisons de protection et des badges qui changeaient de
couleur si vous preniez une dose. Parce que les radiations sont silencieuses. On
ne peut pas les voir. Elles se glissent dans votre chair et dans vos os. Vous
ne savez même pas que vous êtes malade jusqu’au jour où vous commencez à
dégueuler, à perdre vos cheveux et à courir aux cabinets toutes les deux minutes.
Est-ce qu’il allait connaître
tout cela lui aussi ?
Il découvrit qu’il s’en moquait
totalement. Il allait remonter cette bombe. D’une manière ou d’une autre, il
allait la remonter. Il allait la ramener à Las Vegas. Il fallait réparer cette
terrible chose qu’il avait faite à Indian Springs. S’il devait mourir pour
expier sa faute, alors il mourrait.
– Je te donnerai ma vie, murmura-t-il
dans l’obscurité.
Et il se remit à monter l’escalier.